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Basile Hoelf

1

 

Basile se redressa dans un bruit d’inspiration caractéristique. La poudre blanche pénétra ses narines en ravageant les muqueuses, et il la sentit, amer, retomber au fond de sa gorge. Il adorait la cocaïne autant qu’il la détestait, amante cruelle qui accompagnait toutes ses nuits. Sortir la poudre du pochon, l’écraser, la réduire, la diviser, rouler un morceau de papier entre ses doigts, le glisser dans son nez, et inspirer, avide, le poison blanc. Il adorait ce rituel plus que ses effets, ça le fascinait, de travailler le produit, d’observer ces parfaites petites traces blanches prêtes à percer la chair, et enfin, cette sensation de brûlure qu’il percevait jusque derrière son œil. Cette ritournelle ponctuait ses nuits depuis quinze ans, entre autres produits hallucinogènes et psychoactifs. Il incarnait cette étrange mélancolie propre aux nocturnes qui essaient de repousser les limites d’un monde asphyxiant, une impression d’euphorie et de délectation qui frise l’aliénation. Tous cherchaient à créer des couleurs que la grisaille avait finies par annihiler. Ensembles, ils bâtissaient un empire qui n’existait qu’une nuit, sur les fondations de souvenirs vibrants depuis longtemps mystifiés. Recréer, encore et encore, le paysage nécessaire pour revivre des émotions déjà passées. C’était une sensation vertigineuse que de se trouver dans la puissance du moment présent, et d’essayer de lui donner la forme d’images lointaines, des réminiscences, une rengaine persistante, un absolu à atteindre. La musique, comme une matière vivante, accompagnait leur dérive. Elle se moulait sur les corps et changeait leurs formes, capable de modifier les rythmes et les coordonnés du réel. Bientôt, Basile quitterait cette pièce éclairée au néon blanc, et rejoindrait la scène et ses machines un étage plus bas. Les basses puissantes faisaient vibrer le sol, et exaltaient ses sens. Un mélange de stress et d’excitation le maintenait dans un état d’ébullition. La drogue s’accordait parfaitement avec cet ensemble de sensations, une sorte d’ivresse euphorique qui titillait son imagination. Il espérait secrètement que sa musique gagnerait la foule, il se figurait la tension de leurs corps, leurs mouvements sur les rythmes syncopés, percussifs, et la joie d’offrir un tel moment de danse, organique, festif, inoubliable.

2

 

Basile ouvrit les yeux en grimaçant. Ils étaient secs, collés, affreusement irrités. La lumière zénithale que rien ne filtrait lui brûla la rétine. Il passa une main sur son visage froissé pour se protéger et déglutit avec difficulté. Dans sa bouche, il avait un goût de cendre, la langue pâteuse et la gorge sèche. Les sourcils froncés, il se redressa en grommelant. Le sang pulsait dans ses oreilles, il avait le tournis, le corps faible et les mains tremblantes. Son esprit était entravé, la fin de soirée lui revenait par flashs hallucinatoires. Après avoir quitté le club, il n’en avait pas fini de faire la fête, de s’ouvrir à tous les excès, de boire et de consommer tout ce qui était à sa portée. Il était rentré chez lui lorsque l’envie de vomir était devenue plus forte que celle de boire, fatigué, vidé de toutes substances, et il se retrouvait là, seul dans son lit, en pleine chute de dopamine. Il renifla son t-shirt avant de s’en débarrasser d’un geste dégoûté, tout son corps, sa peau, ses cheveux, son haleine, sentaient l’alcool et le tabac froid. Il s’assit au bord du lit, et attrapa la bouteille qui trônait sur la table de chevet. Il avala deux grandes gorgées qui lui donnèrent la nausée et avaient le goût des centaines de cigarettes qu’il avait fumé la veille. Près de cinq heures d’un sommeil comateux n’avaient pas suffi à le reposer, il se sentait faible et démunit. Loin de lui le rêve d’une nuit sans lendemain. Il fouilla les poches de son pantalon échoué au sol, et ne retrouva que son téléphone, une paille écrasée et une peu de poudre blanche. Plus de clopes, plus de coke… La redescente allait être longue. À bientôt trente-deux ans et près de quinze ans à ce régime-là, les lendemains étaient de plus en plus difficiles, plus tristes également. Il commençait à avoir conscience de sa propre mortalité et de l’effet du temps qui passe. Il avait bâti sa vie sur ce désir ardent de tout connaître, tout voir et tout goûter, une curiosité dangereuse qui l’avait amenée à repousser les limites et à frôler les extrémités. Dans un monde chaotique où rien n’a de sens, il avait décidé de donner à son existence le plus de reliefs possibles, à travers l’art et la sensualité, au risque parfois de perdre pied. L’état dépressif qui suivait les fêtes les plus intenses l’amenait à reconsidérer ses choix. Qui était-il finalement ? Sinon un éternel adolescent, un marginal incapable de s’accorder avec le réel. Il y avait un vide en lui qui exerçait sa pesanteur, faisait s’effondrer le sol sous ses pieds. Un manque qu’il n’avait jamais réussi à combler. Un manque d’être aimé. Basile, aussi social était-il, grand ami et amoureux passionné, souffrait d’une intense solitude, et les mirages des nuits agitées ne faisaient que masquer cette inquiétude.  

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