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Dimitri faisait distraitement glisser la pulpe de ses doigts sur le plastique d'un paquet de cigarettes neuf, pour l'entendre et le sentir crisser contre sa peau. Les yeux rivés vers le bas, il observait consciencieusement la chorégraphie de ses mains, sans vraiment écouter le discours insipide d'Ivanov en face de lui. Toujours la même rengaine. Ce camé voulait sa dose, mais il n'avait plus une thune. Un bébé braillait dans l'autre pièce, mais personne ne venait. La mère était trop occupée à regarder son compagnon se démener pour qu'ils aient leur fix avant de se coucher. Combien d'enfants avaient-ils ces deux-là ? Au moins cinq. Tous débiles, comateux la moitié du temps, à s'écorcher les poumons quand ils avaient faim. Des gamins perdus dès la naissance, qu'ils auraient mieux fait de chier au fond des chiottes. Lasse, il releva la tête, et regarda à sa droite la gamine qui rampait par terre dans sa couche pleine. Elle ressemblait déjà à une toxico, l'air hagard, la bave au coin des lèvres. Dimitri aurait voulu l'aider, la foutre à côté d'une fenêtre un soir d'hiver, pour mettre fin à son supplice, couper court à sa déchéance.

 

Une future cliente.


 

Il finit par poser ses yeux délavés sur Ivanov, en ouvrant enfin son paquet de cigarettes. Il en tira une, qu'il glissa entre ses lèvres, et alluma en inspirant. Il recracha le nuage de fumée vers son interlocuteur, le visage impassible.

- Je te rembourse la moitié aujourd'hui, et tu me files un gramme, et...

- Écoute Ivanov, si je te file encore un gramme, tu me devras exactement la même chose. Alors c'est non. Rembourse-moi, et on verra après, quand les compteurs seront remis à zéro.

L'homme se figea. Ses mains tremblaient l'une contre l'autre, trahissant son état de nervosité. Il était en manque. S'il n'avait pas eu aussi peur de lui, il l'aurait attaqué pour le dépouiller de toute cette came qu'il avait sûrement sur lui. Mais Ivanov n'avait pas la force, ni le courage. Il ressemblait à un squelette, une tige blafarde, avec une barbe hirsute. Nina n'était pas mieux. Debout, derrière le canapé, il devinait ses cuisses pleines de cellulite, et évitait de croiser son regard cerné. A ce stade, il ne savait plus si c'était la couleur de ses paupières ou le mascara. Cependant, elle avait l'air plus sûre d'elle, une main pressant sur l'épaule de son compagnon, la mâchoire crispée. Elle en crevait d'envie, de cette poudre brune, qu'elle rêvait de s'injecter dans les veines. S'il sortait un gramme, là, devant elle, elle se jetterait dessus comme une affamée, le nez bien devant, pour tout inspirer en une seule fois. Pathétique.

- Allez... Dimitri, on se connaît depuis longtemps toi et moi. J'te gardais quand t'étais petit. Tu peux bien me faire cette fleur...

Le blond recracha un épais nuage de fumée en se penchant en avant, les coudes sur ses jambes écartées. Il n'était ni très grand, ni très musclé, mais il y avait cette froideur dans son regard, qui interdisait à tout le monde de lui résister. Ivanov déglutit en le voyant ainsi. Pas un sourire, pas une grimace pour déformer ses lèvres fines, juste ses yeux presque transparents qui le fixaient sans faillir. Dimitri était insensible et incisif. Il n'avait pas besoin d'amis, il était mieux seul, et si ce pauvre type n'avait pas d'argent pour payer, alors il pouvait bien crever en se rongeant les os.

- Pas de thunes, pas d'héro... Démerde toi. lâcha-t-il en se redressant.

Nina manqua de s'évanouir, alors que les yeux d'Ivanov crevaient l'orbite. Dimitri aurait pu rire en les voyant, si la situation n'était pas aussi dramatique. Ces deux-là finiraient par crever la seringue dans le bras, avec leurs gamins baveux dans un coin de la pièce, et on ne viendrait les chercher qu'une fois que leurs cadavres sentiraient trop fort.

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